Tensions et contradictions

Lorsque je m’élance, je viens forcément interrompre un équilibre, une perfection, déjà existants. Le papier se suffit à lui-même par sa surface, ses aspérités, sa couleur, ses imperfections.

Je peins sans idée préconçue, sans but préalable, sans attente. Le premier coup de crayon ou la première couleur déposée est comme un plongeon de 25 mètres. Une fois élancé, je ne peux revenir sur la planche. La force, la volonté, les convictions, les pensées ne servent plus à rien. Je ne peux que me concentrer sur la matière, mes sensations, mes sens. Me laisser porter par la chute, suivre les courants, accompagner le mouvement.

Après ce premier geste, le temps s’accélère pour moi. J’impose un rythme alors que les tensions et les contradictions jaillissent à chaque modification de la surface. Un trait rééquilibre une partie mais déséquilibre l’ensemble. Une couleur inattendue contraste et annihile l’effet de l’aplat précédemment déposé.

Je ne saurais dire si l’unité sur la surface relève davantage d’un équilibre esthétique qu’intérieur. De paire, sans doute.
C’est le temps court d’exécution et la confrontation à la matière, la tension, qui amènent à une forme libérée et à la connexion à soi.

Dans cette exécution rapide qui amène à une transe consciente, un abandon actif, la feuille est le théâtre d’un échange avec moi-même, l’autre, les autres.

Je peins, je colle, je crayonne, je rature, j’écris jusqu’à ce que ces ces paradoxes, ces tensions, ces forces opposées s’évanouissent dans un équilibre retrouvé. La peinture est alors juste.