Alors que la feuille se suffit à elle-même et existe par elle-même, ma première intervention, coup de pinceau ou collage, vient rompre l’équilibre initial.
Ce premier geste est forcément une erreur pour moi puisque non seulement, il rompt l’équilibre de la feuille, mais il est lui-même intrus dans un espace qui n’est pas préparé à le recevoir.
Ainsi, mon travail, dès ce moment, va consister à retrouver un nouvel équilibre à partir de cette intervention initiale et d’éléments qui vont venir modifier cet espace, pour finalement le transformer tout à fait.
Peut-être que dans cette transformation, la pièce initiale qui a engagé le processus sera elle-même modifiée, recouverte ou retirée, dans le cas ou cette chaine de changements se dirigerait vers un équilibre dont cette pièce serait exclue.
Doit-on considérer cette pièce de nouveau comme une erreur, alors que son retrait répondrait à une adaptation du système ?
C’est le processus de changement, d’adaptation, de recherche d’équilibre qui se fait et qui l’exclue.
Ainsi, dans mon processus créatif, l’erreur se définit par rapport au système.
La pièce concernée, par ce qui la définit isolément en tant qu’objet (la couleur, la forme, la matière), ne trouve plus sa place dans le système.
L’équilibre se fait entre les masses, les valeurs, les énergies, les couleurs. C’est une recherche qui se fait dans une tension car le déséquilibre n’apaise pas.
C’est un état intermédiaire qui doit être temporaire. C’est en cela que le conflit psychique se joue. Les éléments, les gestes interviennent par actes spontanés. Je peins, j’écris, je dessine, je trace, je colle sur la feuille sans jamais rien anticiper.
L’approche adaptative qui consiste à réagir spontanément au geste imprévu qui précède est essentiel. Le nouvel équilibre se trouve par tâtonnements. Cependant, chaque intervention est définitive et modifie le système. C’est une (ré)adaptation permanente d’un système qui se créé, se modifie au fur et à mesure qu’il intègre un nouvel élément.
A l’origine, ce processus est né de « ratés », d’erreurs, de peintures déchirées et destinées au rebus. Sur ces feuilles apparaissait une énergie jaillissante, débordante, non maitrisée. Elle était indomptable et inutilisable en l’état. Impossible de « rattraper » l’erreur, d’en faire quelque chose, d’y créer un équilibre.
J’ai alors déchiré ces jaillissements pour en utiliser les morceaux dans un tableau tiers telles des « touches » d’énergie ou d’émotion.
Ces erreurs, utilisées selon un nouveau paradigme, trouvaient un nouveau sens et pouvaient être pensées autrement.
Ainsi, théoriquement, tout élément posé est susceptible d’être considéré comme erreur tans que l’ensemble systémique n’a pas trouvé un état d’équilibre.
Mais l »erreur se définit par rapport à l’ensemble du système qui lui-même se définit au fur et à mesure des changements. Tout est mouvant, instable, jusqu’à l’état « juste ».
Une amie m’a récemment dit en parlant d’une œuvre terminée que les pièces de papiers qui composent le tableau semblent à peine collées, comme si je ne voulais pas faire quelque chose de définitif, de définitivement terminé. La toile reste en suspension. C’est à nous de nous trimbaler dans ces décollements comme si nous étions de passage sur la toile.